Murmures à la jeunesse, déclaration d’amour à la République

Alors que le 27 janvier dernier Christiane Taubira quittait ses fonctions de Garde des Sceaux en raison de désaccords politiques notoires avec le reste de la majorité, elle publiait dans la foulée, le 2 février suivant, son essai Murmures à la jeunesse. Si certains attendent un réquisitoire contre la politique du gouvernement en réaction aux attentats du 13 novembre, il n’en est rien. Il s’agit là plutôt de mots doux, à l’attention de la France, de la République, d’une remise à niveau sur la radicalisation et le terrorisme à la lumière de son expérience en tant que ministre et de l’expression de son opinion sur la question de la déchéance de nationalité.

Sans prendre de détour, les premières lignes s’orientent directement vers le terrorisme. Pas de demi-mot, au centre des débats de par sa position au sein de l’exécutif, l’ex-ministre de la Justice nous livre sa version des faits, la vision de celle qui en savait probablement le plus. Si le radicalisme s’opère en prison, il ne correspond qu’à un-huitième des enrôlés et n’en est donc pas le principal foyer.

Toutes les religions génèrent du fondamentalisme. Ces fondamentalismes ont produit intolérance souvent, violence parfois.

Elle n’hésite pas à exprimer le fond de sa pensée, même si cela pourrait en froisser certains. Mais les véritables cibles de sa tribune sont les organisations terroristes en question contre lesquelles elle objecte son plus profond dégoût, sans pour autant émettre une haine quelconque.

Puis, arrive enfin la controversée déchéance de nationalité. Bien qu’elle en admette la symbolique, que personne ne songerait refuser à déchoir un terroriste, elle rappelle le manque d’effectivité d’un tel mécanisme.

Ils [les terroristes] ne meurent ni Français ni binationaux, ils meurent en morceau.

Ce qui l’alarme bien plus, ce sont les conséquences d’une telle réforme, les inégalités qu’elle générerait

La seule idée qu’une personne pourrait, du fait de sa double nationalité, être bannie à tort de la communauté nationale, ou en être apeurée, me paraît terrifiante.

La déchéance de nationalité ne lui plaît pas, et elle le fait comprendre. Son intelligence et la rigueur de son raisonnement lui donnent une force argumentaire hors du commun. Les passages de ce livre permettront à tous de remporter haut la main un débat sur la question.

Cette déchéance contiendrait une inégalité, les même actes perpétrés par des Français n’ayant pas une nationalité de substitution ne [produirait] pas les mêmes effets. Cette déchéance ne surviendrait qu’au terme de l’exécution d’une condamnation à longue peine, soit largement le temps pour l’autre pays de nationalité de déchoir ce condamné afin d’éviter d’avoir à l’admettre sur son territoire. […] Un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux. Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables ?

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Enfin, après nous avoir dévoilé son opinion sur les sujets sensibles du moment, Christiane Taubira termine son récital par une majestueuse déclaration d’amour à son pays, prenant soin de différencier nationalisme et patriotisme.

[Il y a une] différence entre le nationalisme, crispé, soupçonneux, souvent haineux, voyant et traquant des ennemis partout, au-dehors au-dedans, et le patriotisme qui consiste à exprimer son attachement à son pays pour ce qu’il est et pour la part qu’il prend à hauteur du monde dans les progrès qui épanouissent la personne et élèvent la société.

Ce qui frappe surtout, c’est l’optimisme dont elle peut faire preuve, envers les générations futures, envers l’humain, envers tous ceux en qui nous avons pu perdre foi. Malgré tout, tout ce qui a pu se passer, tout ce que l’on peut voir, tout ce que l’on peut entendre, tout ce que l’on peut ressentir, elle reste follement et sublimement persuadée que nous réussiront à dépasser cette horreur et à sauver ce navire en déperdition constante. Cet élan d’enthousiasme revigorant redonne espoir en l’humanité.

Ainsi est-il aisé de se souvenir que le drapeau aux trois couleurs fut, à sa naissance, l’emblème de la révolte contre l’oppression et l’inégalité, la bannière de l’espoir d’une société meilleure, l’étendard des valeurs éternelles qu’il faut chaque jour reconquérir : fraternité, égalité, liberté.

Le tout, systématiquement enrobé dans un vocabulaire finement choisi, toujours approprié, dans un style choyé, agréable à lire. Certes, les mots ne sont pas toujours évidents, on rencontre oecuménisme, engeance, entropie, déshérence, eschatologique, dont le sens peut parfois nous être inconnu. Certains estimeront que pour un livre soit disant destiné aux jeunes, l’emploi d’un tel jargon ne serait pas adapté. Cependant la lecture ne consiste pas qu’en le fait de marcher sur des sentiers battus. C’est aussi parfois s’aventurer sur des terres inconnus, chercher le sens d’un mot dans le dictionnaire n’a jamais tué personne et il est d’autant plus agréable de se divertir en apprenant dans le même temps.

Le livre de Christiane Taubira se trouve en définitive être un merveilleux ouvrage, rempli de tolérance, de valeurs, de beauté, de nouveauté, de liberté, d’égalité, de fraternité.

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